Tes parents ne sont pas les tiens. Ce sont des collectionneurs d’enfants abandonnés. Ils ont tiré le mauvais numéro avec toi. L’adoption c’est ni échangée ni remboursée en cas de défaut de fabrication. Ils ne comprennent pas comment tu vis, pourquoi tu modifies ton apparence, pourquoi tu changes de pronom pour un truc qui n'existe pas, "lo". Pour éviter les soupirs et les larmes, tu as mis de la distance. Ce sont les soeurs avec lesquelles tu as gardé le contact qui te donnent de leurs nouvelles.

Tu sculptes des cubes, des petits cubes dans des gros cubes, des cubes qui s’emboitent les uns dans les autres tel un puzzle, des cubes qui se déversent sur le sol comme on jette les dés. De la pierre ou du bois, mais toujours ces cubes qui paraissent sortir d’un aléatoire instable et qui pourtant trouvent un équilibre pour tenir debout sur leur face, leur arête ou leur pointe.

Tu danses. C’est le seul moment où t’oublie tout, où tu t’oublies toi-même, l’accalmie au milieu de la tempète. Tu danses mais ta vie n’a rien d'une comédie musicale.

Parce que l’échange avec les vivants est compliqué, tu t’es invité·e à la table des morts. Des corps froids, inertes qui donnent des envies sans peur de rejet. Eux, ces hommes cadavériques qui viennent jusqu’à toi aux pompes funèbres, tu les aimes charnellement. En plus, il y a un salaire qui tombe à la fin du mois. Difficile de demander mieux. Ah si, un truc : que le boss ne soit pas au courant de la manière dont tu donnes ce sourire si particulier aux défunts mâles.

Les femmes, c’est difficile parce qu’elles sont vivantes. Tu les laisses entrer parfois dans ton lit quand il fait froid. C’est mieux qu’une bouillotte pour réchauffer ton corps. Il ne faut surtout pas qu’elles parlent, qu’elles posent des questions, qu’elles veuillent un numéro de portable, là ça te fait regretter tes morts.

En quête de quelque chose, de soi ou d’autre. En plein refus des murs qui masquent l’horizon. Même le masculin/féminin a été gommé du paysage, c’est dire que tu es parti·e loin. Il n’y a plus grand monde qui te suive par ces chemins.

Pasadena. Tu voulais voir de près. Tu voulais voir si ici l’air était plus léger, correspondait mieux à tes aspirations à cause de cette adresse, d’une racine plantée dans le coin. Au final, ici c’est comme ailleurs. Tu dors peu et tu bouffes mal.