La plume du stylo noircissait d’une belle encre le papier fraîchement acheté. Il faisait cela depuis des heures déjà sans donner l’impression de s’essouffler, l’écriture restait parfaite et toujours structurée, les lignes ne dérivaient pas sur la feuille vierge. Un point fut posé et le bouchon recouvrit la tête du stylo. Seena se passa une main dans les cheveux et prit soigneusement la lettre qu’elle venait d’écrire, elle espérait de tout cœur qu’elle soit lu avec précision et admiration, elle avait donné de sa personne pour coucher ses idéaux sur le papier. Elle attendit que tout ceci sèche avant de le plier soigneusement et de le glisser dans une enveloppe. Son secrétaire vint chercher le courrier dans un sourire un peu trop éclatant à son goût puis il repartit.

La politicienne se saisit de son agenda pour prendre en notes ses rendez-vous de la journée, bien heureuse de se trouver à Los Angeles. La maison mère de She & Her était ébranlée par les demandes de personnes souhaitant y travailler ou tout simplement la rencontrer. Elle n’avait pas souhaité rentrer chez elle puisque dans quatre jours se tenait la parade des roses et sa présence y était demandée. « Arthur, peux-tu dire à Karl que nous avons rendez-vous avec des associées dans moins de vingt minutes ? » Le secrétaire hocha la tête et s’éclipsa. Seena quitta son siège et glissa un regard par la fenêtre, son bureau donnait sur la rue bondée de taxis et de voitures qui ne cessaient de klaxonner, l’installation du triple vitrage avait été une idée de génie.

Ses doigts réajustèrent sa jupe qui laissait apercevoir ses jambes interminables puis vinrent remettre la chemise en place, elle se devait d’être parfaite. Ses lunettes furent posées sur la tableau en verre puis elle contourna le tout pour se perdre dans les couloirs. D’un sourire sincère et de quelques douces phrases, elle prit connaissance de l’état de ses employés. Association étudiante était désormais devenue une organisation aux proportions imaginables. Seena était clairement très fière de ce triomphe, mais elle continuait de s’acharner pour parvenir à son objectif final. Que l’action écrase les promesses, qu’elle parvienne à satisfaire celles et ceux qui l’écoutaient à chaque discours. L’écossaise était une idéaliste qui ne se contentait pas de rêver, mais d’agir et de faire trembler les traditions profondément ancrées dans le pays.

« Miss McGregor ! » Elle tourna la tête en direction de son secrétaire et manqua de s’étouffer avec sa salive. Ne serait-ce pas Nova qui se trouvait là ? Qu’est-ce que c’était que cette merde ? Ses pas se firent rapides quoi que tremblants. « Je suis désolé miss j’ai tout fait pour la… » Nova le coupa sec d’un geste de la main et foudroya sa fiancée du regard. « Je ne suis pas sur la liste des personnes présentes à tes côtés à la parade ? Tu te fous de moi Seena ? » Elle n’eut le temps de dire le moindre mot qu’une gifle lui fit perdre le fil de ses pensées. Et sans une phrase supplémentaire sa fiancée disparut.

La blonde fit craquer sa mâchoire et se caressa doucement la joue. Arthur semblait ne plus savoir sur quel pied danser, il se mâchouillait nerveusement la lèvre. « Et je n’arrive pas à mettre la main sur Karl. On ne cesse de me dire qu'il se balade avec une femme métisse. » La politicienne grinça des dents après s’être passée une main sur le visage comme pour revêtir ce fameux masque de neutralité qui n’annonçait rien de bon. Une femme métisse, le karma se retournait contre sa personne à une vitesse fulgurante. Elle prit la direction des locaux des hauts placés de l’organisation. « KARL FAHEY ! » La furie s’était réveillée de sa longue inconscience et cela n’inspirait rien de bon, loin de là.

Les employés avaient rapidement courbé l’échine au premier coup de talon furieux de la patronne, il s’agissait bien d’une première de la voir furieuse à ce point. On leur avait toujours dit que Seena McGregor ne s’énervait que dans des cas graves et la question se posait donc : Pourquoi était-elle dans cet état ? Bien sûr personne ici n’était au courant des difficultés relationnelles entretenues avec sa fiancée comme personne ne savait pour sa nature volage, on pensait alors à des problèmes professionnels au sein de son parti politique ou tout simplement au cœur même de l’organisation, mais il n’en était rien.

Elle traçait donc sa route sans la moindre attention en direction de ses salariés, son regard était rivé droit devant elle comme si elle comptait mitrailler toute personne qui se mettrait sur son chemin, alors on la fuyait ou sautait presque dans son carré de bureau dans un glapissement de peur. Arthur avait finalement abandonné l’idée de la suivre pour la calmer, tout bon vétéran de l’organisation savait qu’il était toujours vain de raisonner la patronne quand celle-ci avait perdu son sang-froid. Il préféra donc aller s’occuper de Nova -la fiancée- qui avait pris possession du fauteuil de la présidente en tout bien tout honneur.

Seena arriva enfin devant le bureau de son vice-président et posa la main sur la poignée. Il n’eut aucune hésitation avant qu’elle ne la fracasse de sa colère. Il était bien là, interloqué par cette soudaine violence et bien sûr, il n’était pas seul. Elle ne voulait pas laisser son regard glisser en direction de celle qui lui envoyait des messages au beau milieu de la nuit, non. Elle referma la porte derrière elle et ignora la salutation de la barista pour se diriger tout droit en direction de son associé. « Seena qu’est-ce… » Elle dut se retenir de l’attraper par le col de sa chemise. « Qu’est-ce que tu fous bon sang ? Nova se balade dans nos locaux et nos associés débarquent dans moins de dix minutes ! »

Elle put lire la panique dans le regard de Karl qui se redressa précipitamment et quitta le bureau pour tenter d’apaiser cette zizanie imprévue. En une poignée de secondes seulement, Seena se retrouvait désormais seule avec l’objet de ses hantises. Tout en ignorant une nouvelle fois son regard, la blonde lui adressa enfin la parole. « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu viens aussi m’emmerder dans mes locaux ? » Sa tête se tourna enfin dans sa direction et son regard brûlant de sentiments plus dangereux les uns que les autres se posa sur elle.

Elle n’avait pas envie de se battre, elle n’avait pas envie de hausser le ton et de se pousser au fin fond de ses retranchements. Elle avait souhaité une simple journée de travail sans pression et sans prise de tête, mais le karma ne cessait de lui asséner des coups de couteau dans le dos. Cette même idée de devenir une simple machine obsédée par son travail la séduisit une nouvelle fois, mais les conséquences la giflèrent violemment, c’était lâche et inutile. Si elle n’écoutait que ses propres envies, ce côté humain qu’elle contrôlait parfaitement, elle n’entendrait que cette envie de douces paroles et de flirt plus que joueur, hélas, elle avait dit non, Ishraï allait devoir assumer son choix. Ses mains remirent correctement son blazer sur ses épaules et ses doigts recoiffèrent ses folles mèches blondes.

Un soupir s’ancra à sa poitrine et elle s’approcha à pas de loup du fauteuil où se trouvait la délicieuse provocation. Sans plus hésiter, elle posa ses mains sur les accoudoirs comme pour la piéger et pencha son visage vers le sien dans un regard de braise, sa langue était prête à claquer comme celle sifflante d’un serpent qui crachait son venin. « Nova se balade librement dans les locaux, elle connaît la tête de chacun de mes employés et tu penses que je vais te laisser faire la même chose ? Je ne mélange pas relation personnelle et travail, regarde dans quelle merde tu me mets ! » Son cœur s’accélérait dans sa poitrine, percutant son souffle qui cherchait à se faire régulier. Mais son masque était si parfait que rien ne filtrait à travers, la neutralité gardait son emprise sur ses traits.

Elle s’éloigna dans une vague de colère qu’elle ne pouvait contrôler et pinça les lèvres. N’avait-elle pas été claire dans sa façon de parler la dernière fois, lors de cette fameuse convention ? Elle lui avait laissé le choix le lendemain de leur aventure, elle avait refusé alors pourquoi revenait-elle à la charge ? Seena se déresponsabilisait de cette situation, elle était la victime dans tout ça. Clairement, elle ne l’était pas mais elle avait besoin de le penser avant de perdre complètement les pédales. Il lui était difficile de trouver une solution, comme il lui était douloureux de songer à sa relation désastreuse avec son premier amour. Seena n’aurait jamais pensé arriver à de tels extrêmes, ses rêves se confrontaient à la réalité, cette dernière était d’une cruauté sans nom, mais elle aurait dû s’en douter. Karl l’avait prévenu, mais elle avait préféré faire la sourde oreille.

Et là, à s’être approchée de la sorte d’Ishraï, elle avait involontairement réveillé des envies qu’elle avait pensé oublier. Merde. Sa raison la tabassait avec une joie immense et s’apprêtait à l’enterrer vivante, génial. « Alors casse-toi ! » Elle s’était appuyée sur le bureau comme pour chercher une force extérieure, mais elles étaient seules. Cette impression d’étouffer lui saisissait la gorge et ses battements de cœur se faisaient affolés. Fuir, mais où ? Un autre problème l’attendait sûrement dans les couloirs et elle devait se reprendre, son travail n’attendait pas, ses partenaires n’attendaient pas.

Elle savait qu’elle devait quitter la pièce pour rejoindre Karl et faire son boulot avant que ça ne dégénère. Elle savait à quel point cette réunion était importante pour sa carrière et la réussite de son organisation, mais elle restait toutefois humaine et cet horrible sentiment d’impuissance ne cessait de lui ronger la poitrine. Quelques semaines plus tôt, la politicienne lui aurait tourné le dos sans aucun remord et serait aller travailler dans le plus grand des calmes, mais tout ceci avait dégénéré et elle ne pouvait se contenter d’agir normalement. Peut-être devait-elle se remettre dans les bons rangs, Karl n’avait cessé de la prévenir et de l’avertir, mais elle avait fait la sourde oreille et voilà qu’elle n’assumait pas ses choix. Elle s’était dit que 2022 était suffisamment loin pour brûler son passé de coureuse de jupons, mais tous les scandales qui éclataient autour d’elle lui faisaient comprendre qu’elle était bonne pour être salie à son tour. Seena avait déjà été face au véritable visage de la presse à scandale et s’était rendue compte qu’ils étaient prêts à tout pour obtenir ce qu’ils voulaient et depuis quelques temps, elle avait été trop sage à leurs goûts.

Son regard dériva vers la jeune femme et une soudaine panique la prit, pouvaient-ils se servir d’elle contre elle ? Pouvaient-ils détruire sa carrière et ses efforts avec elle ? Le doute s’installa lentement comme un serpent qui s’enroula autour de son cœur pour l’enserrer. Ce fut pile au moment où elle souhaita quitter la pièce qu’elle remarque que ses feuilles avaient rejoint le sol. Elle pesta, mais Ishraï fut plus rapide qu’elle. Ça n’arrangeait en rien la situation déjà suffisamment tendue. Son ton calme avait don d’amplifier l’énervement de la politicienne qui commençait sérieusement à étouffer dans cette pièce qui ne cessait de se réduire. Elle allait bientôt manquer d’air, il fallait qu’elle foute le camp.

Elle l’écouta pourtant, ne cherchant même pas à l’interrompre. Se concentrer sur le plus important, elle pensait avoir la solution à tous ses problèmes. Un rire sarcastique s’échappa de sa gorge alors qu’elle se saisissait des papiers qui venaient d’être ramassés pour les glisser sous son bras. « Tout va très bien pour moi. » lâcha-t-elle échappant de peu au ton bourru qui voulait se faire entendre. « Tu ne veux pas être un problème pour moi ? Alors disparais, il n’y a rien de plus simple. » Voilà, c’était dit. Seena avait atteint sa limite, les relations sentimentales étaient son point faible le plus dangereux et elle en avait plus qu’assez de glisser sur cette putain de pente sans fin. Oui, elle allait regretter son choix, c’était évident, mais elle ne pouvait en faire autrement.

Elle se dirigea vers la porte et posa sa main dessus. Si elle avait été elle-même à cet instant précis, elle aurait fermé tout ceci à clé pour se jeter sur cet objet d’interdit, mais elle n’était pas elle-même et sa plus grande peur rôdait dans les locaux. « Tu aurais pu être importante encore une fois, mais tu es trop sage pour ça. » Elle ouvrit doucement la porte non sans glisser un regard dans sa direction, on pouvait déjà lire le regret dans ses prunelles océan. « Au revoir Ishraï. »  

Elle était déterminée à terminer tout ceci maintenant et pour de bon, mais ce n’était visiblement pas le cas de celle qui hantait ses songes. A peine la porte fut ouverte qu’une main vint la faire taire dans un claquement des plus surprenants. Les employés qui se trouvaient de l’autre côté furent interrompus dans leur passionnante discussion et glissèrent un regard en direction du bruit, comme une grande partie de leurs collègues. Ils avaient tous vu Karl quitter le bureau en trombe quelques minutes plus tôt, alors on se demandait qui traînait encore à l’intérieur pour faire un tel vacarme. Mais ne voulant pas s’attirer les foudres de leurs supérieurs, les salariés se remirent rapidement au travail comme si de rien n’était.

Seena, quant à elle, fixait ladite porte, le cœur battant et la respiration affolée par l’incompréhension. Une deuxième main se posa à côté d’elle et elle comprit qu’elle était encerclée par la présence de la brunette. Elle ne souhaitait pas se faire piéger de la sorte alors elle fit rapidement volte-face, une centaine de questions au bout des lèvres, mais elles moururent dès l’instant où leurs regards se rencontrèrent une nouvelle fois. Une flamme nouvelle, bien plus dévastatrices que les précédentes brûlait dans le foyer qu’étaient les prunelles d’Ishraï. La politicienne manqua d’en avoir le souffle coupé, mais il le fut pour une toute autre raison. « Je n’ai jamais demandé d’être sage avec moi, tu t’es infligée ce fardeau toute seule. »

Une paire de lèvres se plaqua contre les siennes et le verrou à peine installé fut soufflé par la tempête de sensations qui venait de naître au creux de son être. Elle redécouvrait le goût d’un baiser si difficilement oublié et la fougue d’une femme qui ne voulait pourtant plus d’elle. Elle le savoura Seena parce qu’elle se doutait qu’il devait s’agir du dernier qu’elles partageraient avant longtemps. Elle connaissait suffisamment la jeune femme pour savoir que la raison reprendrait bientôt le contrôle. Une partie s’éclaira face à cette nouvelle lumière, là, oui là était un sentiment qu’elle ne ressentait plus avec Nova.

L’étincelle était morte depuis trop longtemps maintenant, leurs baisers étaient fades et avaient le goût de plâtre. Leurs caresses et leurs griffures étaient aussi froids que la glace, tout comme leurs étreintes qui n’étaient que tempêtes pour équilibrer les tensions trop fortement présentes. Seena planta ses prunelles désireuses dans les siennes si sombres d’un désir caché. Un bref sourire nerveux mais amusé étira en coin les lèvres de la politicienne. « Alors ne te force pas à être sage. » Deux de ses doigts se saisirent du menton d’Ishraï pour rapprocher son visage du sien. « Tu sais que nous sommes mutuellement un problème… Je joue contre ta raison et toi contre ma réputation. »

Son ton était sérieux, presque trop sur l’instant alors que son regard ne cessait de dériver ses lèvres. Elle se fichait bien de la dangerosité de la situation, seul Karl pouvait venir les interrompre pour le rendez-vous avec les associés. « Je te propose de jouer avec le feu Ishraï, tu n’as qu’un simple mot à me dire. » Elle embrassa le coin de ses lèvres pour ne pas la brusquer et surtout de peur d’être repoussée puis s’esquiva à sa prison charnelle.