Владивосток... Je suis née là-bas... Oui.
Vladivostok. Je suis russe et je ne m'en cache pas. Je serais, du reste, bien mal venue d'agir de la sorte. Mon accent me trahi... Et tout n'a pas toujours été facile dans ce pays. Mais j'y suis bien mieux aujourd'hui qu'en Russie.
Je ne dis pas, j'étais heureuse là-bas. J'avais mes amis, j'avais ma famille... Mais je n'avais pas... La liberté d'être qui je suis. Vous n'imaginez pas à quel point il est difficile d'assumer une orientation sexuelle "déviante" selon les termes de notre cher... "Président". Et quand je dis difficile, je veux plutôt dire impossible. Pendant des années je me suis cachée, j'ai fait de mon mieux pour être la jeune femme que la société voulait que je sois.
Etant fille unique, j'ai toujours cherché à rendre mes parents fiers de moi. Parce qu'il me semblait tout simplement irrespectueux de ne pas le faire. Ils ont tout sacrifié pour moi, pour mon bonheur. Ma mère travaillait à l'usine, et mon père était gardien de prison. Ils revenaient tous les deux très tard le soir et je leur préparais le dîner avec ce que je pouvais...
Je faisais, à l'époque, des études de littérature russe. Bien entendu... Vous imaginez, en Russie, étudier les Etats-Unis ? Quelle blague... J'apprenais un peu d'anglais bien entendu mais le professeur était tellement réfractaire à l'idée d'apprécier la langue que c'en était risible. J'ai dû me débrouiller seule. Sur internet, avec des livres, des échanges avec des correspondants. Et je dois dire que je ne m'en suis pas trop mal sorti. Et durant mon temps libre... eh bien je travaillais. Je faisais du mannequinat... Jusqu'à ce que le photographe chez qui j'étais tente d'abuser de moi.
J'ai tout avoué à mes parents. Tout. Les attouchements, son habitude perverses, les photos dérangeantes... Et ses menaces de me faire une réputation immonde dans le monde de la photographie. Ils ont été compréhensifs... Attentionnés. J'avais 22 ans...
Pourtant, autre chose me pesait. Ma sexualité... Alors j'ai osé. J'avais peur, bien entendu... Mais j'ai osé. Et je crois que vous n'imaginez pas à quel point je n'ai pas pu retenir mes larmes quand ils m'ont dit qu'ils m'aimaient... et qu'ils aimeraient celle qui me rendrait heureuse. Des larmes de joie. Le bonheur intense. Le soulagement. Jamais je n'aurais pu souhaiter meilleurs parents.
Seulement comme je vous l'ai dit, nous vivions en Russie... Comment y être heureuse ? En partant. Le jour de mes 25 ans, mes parents m'offrirent un billet pour les Etats-Unis, Los Angeles plus précisément.
Sur le coup, je suis restée sans voix. Un voyage dans le pays de mes rêves ? Que demander de plus ? J'étais comblée. Seulement que j'y regardai de plus prêt, je compris que ce n'était qu'un billet aller. Mon père me serra dans ses bras et me donna un passeport et divers papiers, m'expliquant qu'ils avaient mis de côté de l'argent depuis mes 15 ans... Que cela me permettrait de prendre un appartement là-bas et de vivre "The American Dream"... Oui,
pour la première fois de ma vie, j'ai entendu mon père prononcer des mots en anglais. Nouvelles larmes, nouvelle joie... et nouvelles peurs. Je quittais ma famille pour vivre ma vie.
Je leur promis de rentrer dès que je le pourrais. Et je suis partie... Je suis partie, non sans me retourner. Vers la blancheur de la Sibérie, vers le doux visage de mes parents... Vers mon passé.
Aujourd'hui, je suis étudiante en littérature américaine. Je suis à l'Université... Et j'adore ça. Cela fait un an que je suis aux Etats-Unis, et depuis la rentrée scolaire, je suis officiellement une étudiante. Je n'ai pas la nationalité américaine, mais j'ai obtenu l'autorisation de résidence sur le continent. Les contacts de mon père grâce à son travail à la prison avait payé.
Seulement, se retrouver seule dans un pays que l'on ne connait pas n'était pas une chose aisée. Heureusement qu'il restait des gens bienveillants et compréhensifs... Comme mon professeur... Abigail Godwinson.
Et je dois avouer qu'il m'arrive parfois, dans mon petit studio, de me surprendre à murmurer...
"Миссис Годвинсон..."